DROLE DE DESTIN
Y a-t-il des icônes gay ? Oui, assurément ! À en croire la page Wikipedia dédiée au sujet (eh oui, il y a bien une page Wikipedia dédiée…), les icônes gay sont même… légion.
Les Village People, Dalida, Freddie Mercury ou Mylène Farmer, on peut comprendre…
(même si le terme « icône » est dans ce cas dévoyé, mais passons)
Certains autres noms cités laissent un peu plus sceptiques… Wonder Woman? Lady Gaga? Madonna? Kylie Minogue? Christiane Taubira?
Je pige pas…
(hein? vous avez bien bit Christiane Taubira???!!!)
(non mais vous êtes sérieux Wikipedia?)
Rappelons la définition de l’icône culturelle: « figure emblématique jouant un rôle essentiel dans la construction et le maintien de l’imaginaire social et de l’identité collective ».
Outre le grotesque de toutes ces affirmations balancées sans aucun fondement, ce genre d’articles donne une image totalement cliché des homosexuels, réduits dans l’imaginaire collectif à regarder Xena la Guerrière et à écouter du Madonna…
(manque plus que les jeans en cuir et les colliers de chien et on sera bien)
En fait, si on veut trouver des icônes gay, des vraies (et pas seulement des artistes qui en font leur fond de commerce), il faut remonter… à l’Antiquité, évidemment !
Citons d’abord Patrocle, le fidèle compagnon d’Achille qui, dit-on, ne se contentait pas d’astiquer son bouclier…
Ou Alexandre le Grand, qui préférait de loin la compagnie d’Héphaestion, un de ses meilleurs compagnons d’armes, à celle de son épouse Roxane… Comme Achille sur le corps de Patrocle, Alexandre pleurera toute une journée sur le corps sans vie de son amant… avant de faire crucifier le médecin qui n’a pas réussi à lui sauver la vie.
(on calme ses nerfs comme on peut)
Ou Antinoüs…
Quoi, vous ne connaissez pas Antinoüs? Vous passez dans ce cas à côté d’une magnifique histoire d’amour!
Quand l’Empereur Hadrien le rencontre, vers l’an de grâce 123, c’est le coup de foudre immédiat. Le jeune garçon a 15-16 ans (les sources ne sont pas très précises sur le sujet), l’Empereur en a presque… 50.
Hadrien est pourtant marié à une certaine Sabine, mais il ne cherche même pas à cacher son intérêt pour les hommes. Durant les six années qui vont suivre, les deux hommes ne se quitteront (presque) plus. Jusqu’à ce jour tragique du 25 octobre 130 où Antinoüs se noie dans le Nil. Accident? Meurtre? Sacrifice religieux pour prolonger la vie de l’Empereur?
On n’en sait absolument rien.
Mais Hadrien sera profondément meurtri de la mort de l’homme qu’il considère comme l’Amour de sa vie. Il fait construire la ville d’Antinoupolis sur les lieux où est mort le jeune homme. Mieux! Il divinise son ancien amant en faisant construire des temples en son honneur. Bientôt, le culte d’Antinoüs est célébré dans tout l’Empire romain…
(je conseille à ceux qui veulent en savoir plus sur la relation entre les deux hommes cet excellent article du blog La Toge et le Glaive)
Mais celui qui mérite le titre « d’icône gay ultime » est, de loin, Saint-Sébastien…
Nous y voilà !
Son histoire
Rappelons brièvement la vie de ce célèbre martyr romain… Enrôlé dans l’armée de Dioclétien vers la fin du IIIe siècle comme simple soldat, il se fait remarquer par l’Empereur qui lui offre une carrière fulgurante: il devient rapidement commandant de la garde prétorienne.
Ce que Dioclétien ignore, c’est que Sébastien est chrétien… Pire, loin de vivre sa religion en reclus, il clame haut et fort son soutien à Marc et Marcellien, prisonniers persécutés pour leur foi! Rome ne peut tolérer ce comportement. Sébastien est arrêté et condamné à mort. Attaché à une potence, deux archers sont chargés de le transpercer de flèches. Puis le traître est laissé, agonisant, sur les lieux de l’exécution.
(une autre version parle d’une multitude d’archers: « Et les archers le frappèrent jusqu’à ce qu’il soit recouvert de flèches comme un hérisson est couvert d’épines. » – Legenda aurea, ouvrage de Jacques de Voragine écrit en 1266 racontant la vie de 150 saints et martyrs chrétiens)
Quoi qu’il en soit, une certaine Irène, veuve du martyr Castulus, s’aperçoit qu’il est encore en vie. Elle le détache, l’amène chez elle et le soigne avec dévouement.
Bientôt, Sébastien est guéri. Il n’a plus qu’une idée en tête: affirmer haut et fort sa foi, quitte à défier l’Empire une nouvelle fois. Et, une nouvelle fois, Sébastien est arrêté et condamné à mort. Comm c’est bien de varier les plaisirs, cette fois, ce sera par lapidation. Son corps est ensuite jeté dans les égouts de Rome, la Cloaca Maxima.
La nuit suivante, une Romaine chrétienne (dont l’Histoire se souviendra sous le nom de sainte Lucine) fait un songe: elle voit un ange qui lui dit où se trouve le corps du martyr, et lui demande d’aller le chercher. Elle s’exécute et trouve le corps sans vie de Sébastien à l’endroit indiqué. Elle le récupère et lui offre une sépulture décente dans des catacombes le long de la via Appia…
Pas de retour d’entre les morts… Sébastien est mort et bien mort. Mais le souvenir de cet homme qui s’éleva contre l’Empire, au mépris de sa propre vie, pour défendre l’enseignement de Jésus-Christ restera gravé dans les mémoires. Les siècles passent et, bientôt, on donne à Saint Sébastien le pouvoir de lutter contre la peste, et toutes les épidémies en général.
Et l’icône gay, dans tout ça ?
Difficile de ne pas voir tout l’érotisme qui se dégage des représentations du martyr de Saint-Sébastien. Sa peau diaphane, ses muscles saillants, sa pose langoureuse. Son regard est certes tourné vers le ciel, à l’instar de la Sainte Thérèse du Bernin, mais semble moins implorer la miséricorde que trahir un orgasme…
C’est à la Renaissance, puis à la fin du XIXe siècle – début du XXe, que cette image érotique commence à coller à la peau du martyr. Oscar Wilde, Proust, et d’autres, transforment Sébastien en objet de désir. Nombre d’écrivains, de photographes, de peintres ou de sculpteurs leur emboîteront le pas…
Je laisse le mot de la fin à Yukio Mishima. L’écrivain japonais ne s’y trompe pas quand il décrit dans son livre Confession d’un Masque le trouble érotique qu’il vécut à l’âge de douze ans alors qu’il tombait pour la première fois sur la représentation du Saint…
C’était une reproduction du Saint Sébastien de Guido Reni, qui fait partie des collections du Palazzo Rosso, à Gênes.
(…)
Ce jour-là, à l’instant même où je jetai les yeux sur cette image, tout mon être se mit à trembler d’une joie païenne. Mon sang bouillonnait, mes reins se gonflaient comme sous l’effet de la colère. La partie monstrueuse de ma personne qui était prête à éclater attendait que j’en fisse usage, avec une ardeur jusqu’alors inconnue, me reprochant mon ignorance, haletante d’indignation. Mes mains, tout à fait inconsciemment, commencèrent un geste qu’on ne leur avait jamais enseigné. Je sentis un je ne sais quoi secret et radieux bondir rapidement à l’attaque, venu d’au-dedans de moi. Soudain la chose jaillit, apportant un enivrement aveuglant.
(…)
Ce fut ma première éjaculation. Ce fut aussi le début, maladroit et nullement prémédité, de mes « mauvaises habitudes ».
Confession d’un Masque, II, Yukio Mishima, 1949
(j’adore ce bouquin. Lisez-le. Relisez-le. Mishima avait 24 ans quand il a écrit cette merveille. 24 ans. Un pur génie.)